Au Tchad, le football vit une descente aux enfers. C’est une échappatoire, un cri du cœur, une identité partagée. Dans chaque ruelle de N’Djamena, dans les champs poussiéreux de Moundou, sur les places de Sarh ou les artères d’Abéché, les enfants tapent dans un ballon souvent bricolé, rafistolé avec une intensité que rien ne semble pouvoir freiner. Mais sous cette passion, se cache une vérité brutale : le football tchadien est abandonné. Abandonné par ses dirigeants, ignoré par ses institutions, trahi par ceux qui devraient en faire un levier de fierté nationale.
Le football est partout, sauf là où il devrait être : dans les priorités de l’État. Il unit les jeunes plus que tous les discours politiques, il rassemble les quartiers, les ethnies, les confessions. Et pourtant, les moyens manquent cruellement, les tournois sont improvisés, les terrains inexistants ou dangereux, les joueurs jouent souvent pieds nus, sans encadrement, sans espoir.
Pourquoi un pays où le ballon est roi peine-t-il autant à structurer sa discipline la plus aimée ? La réponse est douloureusement simple : personne n’a pris la peine d’en faire une cause sérieuse.
Le système est bancal. Le Tchad ne compte qu’un nombre très limité de stades dont l’un est au norme (Le stade Olympique Mahamat Idriss Deby Itno, don de la République Populaire de la Chine). Le stade Idriss Mahamat Ouya à N’Djamena, censé être l’emblème, est régulièrement signalé pour son état déplorable et toujours en chantier depuis quelques années déjà. Aucun centre de formation national digne de ce nom. Aucun programme systématique de détection des jeunes talents. Les clubs survivent ou s’éteignent sans infrastructures, sans subventions, sans vision claire.
En ce qui concerne la Fédération Tchadienne de Football Association, elle peine à inspirer confiance. Plus préoccupée par ses querelles internes, elle a été plusieurs fois suspendue par la FIFA (notamment en 2021 et 2022) pour ingérence politique ou mauvaise gouvernance. Le ministère de la Jeunesse et des Sports quant à lui donne l’impression d’observer la descente aux enfers du football comme un spectateur impuissant, sans politique sportive volontariste, ni stratégie budgétée sur le long terme.
Et pourtant, la base est là ; une jeunesse en ébullition. Des jeunes qui rêvent de CAN, de porter le maillot national pour hisser haut le tricolore sur le plan international. Ils regardent Sadio Mané, Ousmane Dembélé, Simon Adingra… et se disent : « Pourquoi pas nous ? » Mais sans championnat structuré, sans encadrement, leurs rêves s’effondrent.
La diaspora tchadienne regorge de talents formés à l’étranger, désireux d’apporter leur pierre. Mais il n’existe aucun programme de repérage, aucun pont solide entre l’intérieur et l’extérieur. On laisse filer des pépites qui pourraient faire rayonner notre pays.
Il est temps de dire les choses clairement : le football tchadien est en état de coma assisté. Il ne manque pas d’amour, il manque de rigueur, de stratégie, de respect et de considération. Ce n’est pas d’un simple rafistolage qu’il a besoin, mais d’un plan national de refondation.
Cela commence par un audit indépendant de la fédération dont la mise en place d’une véritable ligue professionnelle ; la création d’infrastructures dans chaque province ; une politique d’intégration du sport dans l’éducation ; un budget sportif réaliste et contraignant ; et surtout, une volonté politique affirmée, mesurable et suivie.
Chaque jour sans réforme est un jour perdu pour des milliers de jeunes. Chaque terrain abandonné est un talent enterré. Le football tchadien peut devenir un moteur de paix, de cohésion sociale et de rayonnement international. Mais pas sans courage, pas sans engagement.
Le ballon roule, mais le pays regarde ailleurs. Il est temps de redresser la tête, d’écouter les terrains, et de rendre au football tchadien la dignité qu’il mérite. Il est temps que chacun, dirigeants, médias, investisseurs, éducateurs, citoyens pousse ce ballon dans la même direction.
Car si nous restons passifs, un jour, ce ne seront plus seulement des rêves qui s’effondrent, ce sera l’identité sportive tout entière.
Gaëlle ELSOU


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